Le Monde, 21.03.2006


L'Allemagne exige des enseignants "loyaux"


La surveillance policière dont il a fait l'objet pendant plus de dix ans, l'interdiction d'enseigner émise contre lui à cause de ses convictions politiques, la toute récente décision de la justice allemande de confirmer cette mesure : pour Michael Csaszkoczy, "tout cela n'a que très peu à voir avec la liberté". D'une voix calme et haut placée, le militant d'extrême gauche désapprouve le système, mais ne s'avoue pas vaincu pour autant. Son cas est devenu le symbole, outre-Rhin, de la lutte contre une pratique que l'on croyait révolue : la mise au ban du monde professionnel des fonctionnaires dont les idées sont considérées comme trop "radicales".


Adoptée dans les années 1950, remise au goût du jour en 1972, pour tenter de juguler la contestation extraparlementaire qui donna naissance à la Fraction Armée rouge (RAF), cette législation avait entraîné la mise sous surveillance de 3,5 millions de personnes. Des procédures d'interdiction de travail avaient été lancées à l'encontre de 11 000 d'entre elles ; un dixième étaient arrivées à terme. Puis les cas s'étaient raréfiés, pour disparaître au début des années 1990.

M. Csaszkoczy, étudiant à Heidelberg, fils d'un immigré hongrois qui avait fui son pays en 1956, venait de terminer son doctorat et s'apprêtait à devenir enseignant dans un collège, lorsqu'il reçut un courrier en décembre 2003. L'académie du Bade-Wurtemberg, l'Etat régional où il réside, lui faisait part des réserves formulées à son encontre par l'équivalent allemand des renseignements généraux. L'intéressé ne serait pas "loyal" vis-à-vis de la Constitution. Un examen plus poussé de ses convictions s'imposait.

Aujourd'hui âgé de 35 ans, M. Csaszkoczy se savait surveillé par la police à cause de son militantisme actif. Participation à des manifestations contre les néonazis, contre la guerre et le déploiement de troupes allemandes au Kosovo et en Afghanistan, soutien à des réfugiés, entretiens donnés à la presse locale en tant que porte-parole des "autonomes" de Heidelberg : rien ne manquait au dossier que la police avait constitué et qu'il put consulter en 2004. Plus que tout, c'est son engagement dans un groupuscule d'extrême gauche prônant la fin du capitalisme, l'Initiative antifasciste Heidelberg (AIHD), qui motivait les soupçons des autorités régionales.

Sommé de prendre ses distances avec l'AIHD, il refusa. En août 2004, il fut informé qu'il n'était pas apte à devenir enseignant dans le Bade-Wurtemberg, en dépit des bonnes notes obtenues pendant sa formation. Le Land de Hesse fit de même en 2005. "C'est absurde. Par principe, je suis contre une société dominée par la notion du profit, mais je n'ai pas de recette concrète pour la démanteler. Je ne représente pas un danger pour le pays", argumente M. Csaszkoczy, joint par téléphone à Heidelberg, où il vit de ses allocations de chômeur longue durée (360 euros par mois).

Ce n'est pas l'avis du ministère de l'éducation du Bade-Wurtemberg. "L'AIHD se veut une organisation utilisant le militantisme comme moyen légitime pour libérer la société", explique une porte-parole. De telles idées, selon elle, ne sont pas compatibles avec le métier d'enseignant dans un collège public et risquent d'influencer en mal les élèves. Un tribunal administratif régional a adopté le même point de vue, le 13 mars, en rejetant l'appel interjeté par l'intéressé. Pour son président, Bernd Hess, un professeur d'allemand et d'histoire se doit de "considérer positivement l'Etat et la Constitution". M. Csaszkoczy affirme vouloir poursuivre la bataille juridique jusqu'à ce qu'il obtienne gain de cause.

En 1995, au terme d'une longue procédure, l'Allemagne avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour avoir banni de la sorte une enseignante. A l'initiative du syndicat Education et science, une manifestation est prévue le samedi 25 mars à Karlsruhe pour protester contre une pratique d'Etat "antidémocratique et surannée".

Antoine Jacob